Les techniques de la dorure sur bois
Tout ce qui brille n’est pas Or...
Les tromperies sont nombreuses et il faut être d’une extrême prudence lors d’un achat d’où l’intérêt de cet article.
I – Informer les amateurs d'art
Il est absolument nécessaire d'informer les amateurs d'art sur les pratiques frauduleuses de certains professionnels, confirmés ou occasionnels pratiquant la restauration, et en particulier celle d'objets comportant des dorures.
En effet, actuellement en France, certaines restaurations ressemblent davantage à des dégradations d'œuvres d'art qu'à un véritable travail effectué par des professionnels sérieux. Il est tout à fait étonnant que dans les salles des ventes, il n'y ait aucune précision de faite sur les dorures utilisées, ni sur leur qualité, ni sur leur nature. Les seules mentions qui apparaissent sur les catalogues sont la plupart du temps celles de « état moyen », « bon état » ou « restauration d'usage ». Ce qui ne laisse à l'acheteur potentiel que le choix d'estimer le coût de la restauration.
Cette absence d'informations précises et fiables n'est pas sans conséquences. Déjà pour le client, qui lorsqu'il désire faire nettoyer un cadre s'aperçoit de la tromperie, ensuite pour le commissaire-priseur responsable de la vente, et enfin pour l'expert qui va, évidemment, se retourner vers le commissaire-priseur.
Exemple concernant un cadre passé en salle des ventes
Dans le catalogue, à côté de la photographie du cadre en question, l'expert a donné les mesures de l'objet, une estimation et la description suivante: « Superbe cadre en bois sculpté et doré à écoinçons et réserves ajourées à décor de coquilles feuillagées… ». Il n'est nulle part fait référence à l'état du bois et de la dorure. Dans ce cas, l'acheteur a dû penser que le cadre était en bon état. Grave erreur qui montre bien que l'expert aurait dû être plus précis. En effet, lorsque l'acheteur a apporté le cadre à un restaurateur pour un nettoyage, il a eu la surprise de découvrir que la dorure d'origine était recouverte d’une dorure à la mixtion puis à la bronzine, qui dissimilait de nombreuses restaurations en plâtre. Le coût du nettoyage et la reprise de la restauration ont dépassé la moitié du prix d’achat du cadre.
Les règles corporatives qui protégeaient la profession de pratiques frauduleuses n'existent plus. En conséquence, des métaux moins nobles que l'or, comme l’argent, le cuivre ou l’étain sont utilisés en restauration.
Pire, puisqu'il existe désormais des « crèmes à dorer pour restauration artistique des cadres, miroirs, trumeaux, consoles et sièges dorés », dont les nuances, pour faire plus riche sûrement, sont allègrement baptisées « Versailles-Trianon », accompagnées des précisions suivantes « feuilles d’or reflet rouge ». Une crème à dorer qui n'a de doré que le nom puisqu'elle est constituée de cuivre ou d'aluminium. Les fabricants de ces produits devraient être plus modestes sur leurs appellations.
II – Quelles sont les raisons de cette décadence de la profession ?
On peut en déterminer au moins deux :
- Les pouvoirs publics, pourtant très vigilants sur le commerce de l'or, de l'argent massif et de leurs dérivés comme les feuilles d'or, n'ont ni les moyens ni le temps de contrôler les objets en bois dorés. 12 m² de feuilles d’or ne pèsent qu’un gramme et le ruban doré de la photographie, qui mesure quand même 30 cm, est recouvert de moins d’un quart de gramme d’or. Des quantités insignifiantes pour les services fiscaux, qui expliquent partiellement le peu d'intérêt des services de la répression des fraudes pour les bois dorés. Ceci expliquant pourquoi de nombreux marchands prétendent allègrement et sans risquer grand-chose, que leur marchandise est dorée à la feuille d'or.
- La méconnaissance d'un artisanat ancien et confidentiel, celui de la dorure sur bois, pour lequel il n'existe en France qu'une seule école contrôlée par l'état. Les jeunes apprentis devenus professionnels, vivent dans les mystères de leur art et évitent toute médiatisation. Par crainte peut-être qu'on ne leur vole des secrets venus des siècles passés. Ce silence d'une part, et l'absence de bibliographie sur les techniques employées (le dernier traité de dorure sur bois, Éditions RORET à Paris, date de 1886) font que les amateurs d'art n'ont aucun moyen de s'informer et de devenir compétents. Cet état de fait ouvre la porte à toutes les fraudes et autres malfaçons. N'importe qui ou presque peut donc s'improviser restaurateur en proposant des labels de qualité dans le genre : « dorures à la feuille » ou « dorures faites main » qui jouent sur les mots. Le client croit acheter un objet doré à la feuille d'or et le vendeur bien entendu ne fait rien pour rétablir la vérité. Tôt ou tard, l'acheteur finira par s'apercevoir de la supercherie mais il ne pourra rien faire. L’étiquette ne précisant que « dorure » sans indiquer si cette dorure est bien réalisée à la feuille d’or (posée à l’eau, ou posée à la mixtion), au cuivre, une dorure dite "économique" faite d'or blanc vernis imitant tant bien que mal l'or ou encore doré à la bronzine.
III – Les techniques de la dorure sur bois
Il nous faut remonter aux techniques de base de la dorure pour saisir les données du problème.
- La préparation du support : C'est la première étape fondamentale dans le travail de restauration, on dégraisse le support à l'aide d'eau déminéralisée mélangée à un peu d' acide acétique (vinaigre) ou d'alcalie rincé minucieusement de façon à ne pas altérer les apprêts appliqués ultérieurement.
- L'encollage du bois : Il est destiné aux boiseries et tous supports absorbants. Le bois est un des matériaux organiques qui réagit le plus aux variations hygroscopiques : il gonfle lorsque l’air environnant est humide ou se rétracte lorsque celui-ci est sec. Poser une feuille d’or directement sur le bois nu mettrait en évidence le veinage plus ou moins prononcé du bois, ce qui gênerait considérablement la compréhension des volumes et irait à l’encontre du but recherché : imiter l’or massif. On applique donc un enduit (mélange de colle de peau de lapin et de blanc de Meudon) qui va permettre de masquer l'aspect de surface du bois et par la même permettre aux apprêts une bonne accroche.
- La mise en apprêt : Cette opération permet d'enduire le support en bois afin de préparer une assise parfaite à l'application de la feuille d'or. On applique une dizaine de couches de blancs (même mélange que l'encollage mais avec plus de blanc de Meudon). Sa surface est ensuite lissée puis recouverte de deux couches très légères d’assiette (argile kaolinique qui sert à asseoir l’or, appelée également bol, bolus ou bol d’Arménie) aux emplacements destinés à être brunis. Le kaolin s’écrasera sous la pression de l’agathe et la feuille d’or deviendra lisse et brillante comme la surface d’un miroir.
- L’adoucissage : Il s’agit d’un ponçage sommaire. Après séchage, on ponce avec un abrasif à l'eau ou à sec suivant la présence ou non d'anciens apprêts.
- La reparure : Cette opération consiste à dégager les empâtements causés par l'application des blancs à l'aide de « fer à reparer », sortes de crochets de fer de différentes formes. Ils servent également à créer un décor dans l'apprêt : fines entailles, motifs floraux... L'opération nécessite une certaine dextérité pour ne pas endommager les gorges et les sculptures.
- Le jaunissage : Cette étape consiste à teinter les blancs avec un mélange d'ocre jaune et de colle de peau de lapin. La couche sert de fond et d’accroche pour l’assiette à dorer.
- Le coucher de l'assiette : Terre d'argile extrêmement fine mélangée à la colle de peau, l'assiette à dorer est appliquée en trois couches à l'aide d'un pinceau doux facilitant ainsi le brunissage de l'or.
- La dorure à l’eau (ou dorure à la détrempe) : L’application des feuilles d’or est très délicate. Posées sur un coussin à dorer, on souffle dessus pour les aplatir, c’est le jonflage. Les feuilles d’or sont coupées aux dimensions voulues grâce au couteau à dorer (on doit couper la feuille perpendiculairement, d’abord dans un sens, puis dans l’autre, les morceaux devant être carrés ou rectangulaires), puis happées par la palette à dorer (l’extrémité de la palette est passée sur la joue pour se graisser). Les feuilles d’or sont appliquées à l’eau sur l'assiette, avec un pinceau en petit gris dit le mouilleux, dont la colle, au contact du liquide, se réactive. De par sa finesse, la feuille d'or épouse les formes, on aide la feuille à se placer correctement à l'aide d'un appuyeux en la tapotant légèrement. Le matage effectué à l'aide de colle de peau fortement dilué dans de l'eau a pour but de matifier l'aspect de l'or et de le protéger des agressions extèrieurs, les brillances quant à elles sont obtenues par écrasement à la pierre d’agathe, c'est le brunissage. S'en suit éventuellement la patine qui permet de donner un aspect de dorure ancienne. C'est la seule véritable méthode de dorure utilisée pour tous objets en bois dorés, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
- La dorure à la mixtion : Le procédé à la mixtion (huile de lin siccativée ou vernis à l’huile) est plus facile et plus rapide que la dorure précédente. Cette technique bon marché n’offre pas les mêmes avantages de contrastes mats et brillants, puisqu'elle ne permet pas d’obtenir des brunis véritables que la dorure à l’eau, le film d’huile empâte légèrement les volumes. Après 3 , 12 ou 24 heures suivant le produit utilisé, la feuille d’or pourra s’asseoir, happée par la mixtion sans l’aide de l’eau. Les feuilles se lissent à l’aide d’un rondin. Plus couramment utilisée pour les travaux d'extérieurs devant résister aux intempéries, cette technique de dorure à l’huile n’a pas la finesse d’une dorure à la détrempe.
IV – Entre bonnes dorures et arnaques, le risque de la dégradation des œuvres d'art
Peu de personnes sont capables de distinguer une dorure à la détrempe d'une dorure à la mixtion.
Il est fréquent de trouver des bois dorés, dont la dorure d’origine effectuée à la détrempe est recouverte d’une dorure à la mixtion ou d’un voile de bronzine. A cet égard, les commissaires-priseurs devraient s'entourer de davantage d’experts spécialisés. Une telle démarche ne pourrait que renforcer la confiance d'une clientèle qui est en droit de s'étonner de voir le même expert être sollicité sur une commode Louis XV, un chandelier en argent massif du XVIIe ou une tapisserie des Flandres!
80% des propriétaires de bois dorés ne savent pas ce que sont une dorure sur bois, une assiette, un apprêt et sont évidemment la proie de fraudeurs !
Entre une dorure à la bronzine (ersatz composé de poudre de cuivre, dilué dans un vernis, appliqué au pinceau) et une dorure à l’eau par exemple, les prix de revient en fabrication et en restauration varient énormément. Il est donc indispensable d’exiger d’un vendeur des précisions concernant la technique utilisée, le métal utilisé, le nombre de carats s’il s’agit d’or et l’épaisseur des feuilles.
D'autant plus que des personnes incompétentes voire malhonnêtes interviennent sur les objets d’art avec de nouveaux produits séduisants sans en mentionner leurs utilisations. Il s'agit de poudres d’aluminium ou de cuivre, mélangées à des cires. Elles sont vendues en tant que « Crèmes à dorer » ou « Or hollandais ». Elles ne précisent pas la nature de la poudre métallique utilisée et les fabricants vont parfois jusqu'à ajouter « feuilles d’or reflet orangé ». Ces crèmes empâtent les volumes, puis noircissent en s’oxydant.
Ce péché d’omission montre au besoin la nécessité d’être rigoureux, et de mieux informer l’amateur d’art.
V – Conclusion
En conséquence, tout ce qui brille n’étant pas d’or, et ce malgré certaines étiquettes, nous ne saurions vous recommander une extrême prudence lors d’un achat, et bien entendu, de recourir, si possible, aux conseils d’un expert.
Si vous avez besoin d'un avis sur vos objets d'arts, que vous envisagez une restauration, ou pour toutes autres questions, n'hésitez pas à me contacter par email directement ou via le formulaire de contact.